2023-10-30 Pourquoi SETI est-il bredouille ?

Le programme SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence), soit, en français, la recherche d’intelligences extraterrestres, consiste à détecter la présence de civilisations avancées dans d’autres systèmes stellaires. Le SETI considère comme probable l’émission par ces civilisations de signaux électromagnétiques suffisamment puissants pour être éventuellement détectés sur Terre, particulièrement dans des bandes de fréquences à bas bruit galactique comme celles aux alentours de la bande des 1.4 GHz.

À partir des années 2000, les écoutes se sont diversifiées en fréquences et dans le domaine optique. Puis avec la fin du financement à l’aide de fonds publics US, le privé a dû prendre le relai. Le grand public a été invité ensuite à y participer dès le 17 mai 1999 avec un programme téléchargeable de calcul distribué appelé SETI@home, une initiative de l’université de Berkeley. La puissance de calcul totale, au moment où le nombre d’utilisateurs a culminé, dépassait la puissance des meilleurs supercalculateurs en service dans le monde. Pour l’analyse du spectre électromagnétique autour de 1.4 GHz, SETI@home a notamment profité des gains énormes en puissance de calcul des cartes graphiques NVIDIA. Des milliers d’unités de calcul CUDA étant présentes sur chaque GPU qui dépassaient alors largement la puissance disponible des processeurs CPU Intel ou AMD.  

SETI@home y compris dans sa version sur la plateforme scientifique BOINC, a analysé durant plus d’une décennie les données du radiotélescope d’Arecibo sans résultats probants. Avant son abandon, il a néanmoins identifié plusieurs signaux candidats qui ne se sont pas répétés suffisamment pour être considérés comme une preuve de la présence d’une civilisation extraterrestre. Historiquement, le premier signal candidat a été le puissant signal WOW capté en 1977 durant 72 secondes par le radiotélescope Big Ear.

Le protocole SETI impose qu’un signal capté soit non seulement de nature bande très étroite et donc de nature artificielle, mais aussi détecté par différents radiotélescopes afin d’éliminer les faux candidats dus à l’activité humaine, notamment satellitaire ou militaire. La pollution du spectre électromagnétique est devenue un problème majeur pour les programmes SETI particulièrement depuis la mise en service de Starlink par Elon Musk. De plus, SETI n’observe pas 24 heures sur 24 l’ensemble des bandes de fréquences, ni dans toutes les directions possibles, d’où une probabilité de ne pas détecter des technosignatures pourtant bien présentes. On peut espérer que des progrès technologiques et le développement d’algorithmes d’IA puissent augmenter les chances d’une détection de nature répétitive, très espacée dans le temps, y compris en examinant des données anciennes qui ont été archivées.

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La discrétion stellaire est-elle salutaire ?

Le paradoxe de Fermi est parfaitement illustré par la recherche SETI qui, malgré des décennies de recherche dans le spectre des radiofréquences, n’a pu mettre en évidence la présence de civilisations extraterrestres ou d’une quelconque signature de technologie avancée. Ce paradoxe postule qu’étant donné que d’éventuelles civilisations avancées auraient pu apparaitre il y a des millions d’années, elles auraient eu tout le temps de coloniser toute la galaxie. En conséquence, leur non-présence, y compris sur terre, tend à démontrer leur inexistence. 

Robin Hanson, un des experts de cette recherche, a récemment tenté d’expliquer cette absence de résultats avec la théorie dite des « grabby aliens » que l’on peut traduire par “aliens invasifs”.  Il s’agit donc d’une menace globale due à de potentielles espèces stellaires prédatrices et très envahissantes qui a pour conséquence que la majorité des civilisations restent très discrètes pour pas se mettre en danger.

Précédemment, il avait expliqué le paradoxe de Fermi par l’existence de plusieurs grands filtres empêchant l’apparition facile de la vie puis celle de civilisations avancées ainsi que leur survie sur le long terme. De nombreux évènements pourraient en être la cause : une autodestruction par l’arme nucléaire, le rayonnement de supernovæ, l’apparition de conditions climatiques extrêmes sur leur planète d’origine, des impacts de géocroiseurs déclenchant des éruptions volcaniques violentes ainsi que des glaciations subites. 

Une étoile sur cinq possède une planète dans sa zone habitable, mais cette zone se décale progressivement, car les réactions nucléaires d’une étoile et donc la chaleur émise varie lorsqu’elle vieillit. 

On peut considérer que dans de nombreux cas, la dégradation de leur biosphère d’origine poussera les civilisations à commencer à explorer sérieusement leur environnement stellaire immédiat avec des sondes interplanétaires. Dans un deuxième temps, elles procéderaient à une migration et une pérennisation de leur espèce sur plusieurs planètes compatibles avec leurs caractéristiques biologiques. Une civilisation avancée pourrait détecter la photosynthèse existante sur Terre depuis de très grandes distances stellaires pour la placer sur une liste de planètes candidates à explorer avec des sondes, mais ne percevrait pas notre activité habituelle dans le spectre électromagnétique au-delà de 100 années-lumière, car il deviendrait trop faible à cette distance.

La vie biologique évoluée n’étant pas facile à préserver pour des très longs voyages spatiaux, il est très probable qu’une tâche préliminaire de sélection de planètes hôtes soit dédiée à des IA robotisées pouvant de manière autonome se réparer, voire se reproduire, d’où le concept de sondes de Von Neumann. Elles pourraient évaluer de manière discrète l’agressivité des civilisations détectées et, après une période d’observation suffisante, effectuer le voyage, puis effectuer une prise de contact physique entre intelligences biologiques de même sensibilité émotionnelle et de nature pacifique. 

Cette possibilité sera conditionnée par un minimum de compatibilité de l’environnement physique (pression, différences de pesanteur, composition d’atmosphères, risques biologiques, transmission de virus, etc). L’alternative étant une prise de contact réduite à l’aide d’IA évoluées capables de comprendre de nouveaux langages, des gestuelles, voire de se présenter avec des apparences qui n’induisent pas des réactions de rejet ni des hostilités. La communication, même à l’échelle humaine, y compris entre personnes proches, se heurte parfois vite à une somme de mauvaises interprétations, de différences culturelles trop grandes, d’où une efficacité réduite d’une telle approche. La communication directe entre espèces biologiques est de toute évidence la solution la plus efficace. Les IA sur Terre n’ont aucune intelligence réelle à ce stade et ne sont que des algorithmes optimisés pour certaines tâches spécifiques et très répétitives, y compris d’apprentissage. 

La communication entre certaines formes de vie pourtant intelligentes pourrait être problématique, car limité par les sens que leur attribue l’évolution et les environnements extrêmes qui leur sont adaptés. Il se peut aussi que sur le très long terme, la vie biologique soit d’une manière générale trop faillible, ne puisse s’adapter solidement dans des environnements très différents, et que l’expansion stellaire des civilisations, soit en très grande partie le fait d’IA migrant à l’intérieur de sondes de Von Neumann ne craignant pas les environnements extrêmes.

Notre Univers pourrait être constitué d’une multitude de civilisations biologiques restant souvent sur leur biosphère d’origine et incapables de communiquer avec des IA bien plus mobiles explorant les mondes, mais n’ayant quasi aucun objectif de communication avec les biotypes indigènes. Ces IA n’ayant pas non plus pour “directive première” des formes complexes de communication, ni les capacités pour engager un tel dialogue avancé.

La conjoncture de Hart-Tipler postule que la non-détection de telles sondes de type Von Neumann dans notre environnement renforce l’hypothèse d’un nombre de civilisations très limité dans la Voie lactée. Pourtant, l’humanité n’est probablement pas la première civilisation apparue dans notre galaxie vu l’âge de la Voie lactée, majoritairement constituée d’étoiles beaucoup plus vieilles que notre soleil. On devrait donc, d’un point de vue statistique, envisager l’existence d’un écosystème de civilisations beaucoup plus vieilles et avancées que la nôtre. 

Il semble aussi réaliste de postuler l’existence d’une catégorie majoritaire de civilisations plutôt discrètes et d’une autre plus avancée scientifiquement dont les technosignatures seraient bien plus visibles. L’activité de notre civilisation sur Terre par exemple reste très peu décelable, y compris dans notre environnement stellaire proche.

Les chercheurs du SETI ont essayé d’évaluer en combien de temps des civilisations très expansionnistes deviendraient visibles sur l’ensemble de leur galaxie, ainsi que leur nombre relatif par rapport à celles choisissant d’être bien plus discrètes.

Image par PublicDomainPictures pour Pixabay

La Conquête

On estime à quatre milliards d’années le temps nécessaire pour qu’une civilisation technologique puisse apparaître sur une planète réunissant les très nombreuses conditions favorables. D’autres chercheurs privilégient l’hypothèse, du fait de manque de détection avérée, que la majorité des civilisations vraiment avancées apparaîtront bien plus tard, malgré l’âge moyen avancé des générations d’étoiles de la Voie lactée produisant des métaux lourds et tous les composants que l’on trouve sur Terre.

Selon certaines estimations, seule une galaxie sur un million contiendrait une civilisation « invasive et bruyante », car très en avance sur toutes les autres et pouvant ainsi se développer sans opposition rapidement sur des millions de systèmes solaires. Si une telle civilisation émerge en avance dans une galaxie, elle ne permettrait probablement pas à d’autres d’y prospérer et de très grandes zones sous son contrôle y apparaîtraient. Plus précisément, il est possible qu’il y ait un délai au-delà duquel les nouvelles civilisations ne pourraient plus s’étendre, car elles en seraient empêchées par des civilisations plus anciennes, très supérieures. On considère comme plausible que dans environ 10 milliards d’années, tout l’espace de notre galaxie serait complètement colonisé.  

Une simulation suggère que même si seulement une civilisation sur 1000 ou 10 000 devient “invasive et bruyante” la colonisation finale de grandes galaxies pourrait s’équilibrer en moyenne aux alentours de 100 civilisations majeures, dont certaines absorbent les autres, moins puissantes ou en exploitent la production industrielle spatiale sous la menace militaire  à l’instar de la série de films de science-fiction à succès ”La Guerre des étoiles”.

Avec certains paramètres de la simulation, il est possible que dès à présent 50% de notre galaxie soit déjà sous le contrôle de civilisations majeures et que notre niveau technologique  ne nous permette pas de les déceler. Cette situation de semi-contrôle galactique pourrait s’être déjà concrétisée dans 100 000 à 30 millions de galaxies. Nos moyens technologiques sont encore très loin de pouvoir déceler une telle situation et nous pourrions encore attendre de nombreux millénaires avant d’entrer dans une sphère d’expansion d’une civilisation bruyante. Un des résultats possible, selon les paramètres de décalage dans le temps et d’emplacements utilisés, est que la recherche SETI pourrait ne rien détecter pendant encore des milliers, voire plusieurs millions d’années. 

En jouant sur les paramètres de la simulation, notamment le temps nécessaire au passage d’une vie microbienne à une intelligence évoluée dans un contexte de stabilité climatique, on  peut envisager que notre galaxie n’héberge pas encore de telles civilisations avancées. Il est possible également, du fait des énormes distances stellaires, que lorsque la vie aura disparu de la surface de la Terre d’ici à quelques millions d’années, qu’un signal radio émis de l’autre côté de la galaxie n’aient toujours pas atteint notre planète, malgré la vitesse élevée des ondes électromagnétiques. 

Cependant, à cette distance, pour avoir des chances d’être détecté, la puissance d’émission doit être énorme, et l’affaiblissement des signaux sur de longues distances a toujours été un frein important pour un succès de la recherche SETI.

Image par Elias pour Pixabay

Le Projet Galileo

L’hypothèse des “aliens invasifs” génère aussi des critiques, car elle sous-entend la présence d’un impérialisme galactique, ce qui peut être issu d’un biais dû à nos propres comportements.  Historiquement, l’impérialisme a été dicté par des nécessités d’accès à des ressources, des conceptions religieuses, etc. On ne peut exclure des comportements d’expansion particulièrement exacerbés de la part de certaines espèces, du moins dans la phase initiale de leur développement. Cependant, dans un immense champ d’étoiles, les choses pourraient être très différentes et absolument pas comparables à l’expansion humaine, très peu entravée sur Terre. On sait maintenant que des événements cosmiques d’une rare violence peuvent stériliser et réinitialiser entièrement le cycle de la vie dans des parties importantes de la galaxie hôte.

On peut considérer aussi que la volonté d’expansion au cours de milliers d’années et lors d’énormes distances parcourues puisse être inhibée par des mutations sociales ou des changements de gouvernance. Le comportement de telles méga civilisations aurait des chances d’évoluer peu à peu vers le pacifisme et la non-ingérence choisie. Notre planète pourrait être dans une zone où seul un système de contrôle discret est actif, ce que le phénomène controversé des PAN évoque assez bien à priori. L’existence de ce phénomène renforce aussi l’hypothèse de voyages interstellaires et d’expansion interstellaire évoqués. Cela nous rappelle aussi que notre science a encore énormément de choses à découvrir, à conceptualiser et à comprendre.

On peut aussi en déduire que des initiatives scientifiques comme le projet Galileo d’Avi Loeb a peut-être bien plus de chance que les nombreux projets SETI, de mettre en évidence la présence de technosignatures avancées en ciblant non pas l’espace profond, mais en installant des capteurs automatisés dans notre environnement proche sur Terre. Hélas, le principal obstacle à ce type de projets reste encore leur financement privé et non gouvernemental, car si les technologies de plateformes multicapteurs sont devenues matures, leur déploiement en grand nombre reste encore très onéreux. Avi Loeb de l’université d’Harvard par exemple a pu déployer pour l’instant que trois plateformes de détection avec capteurs multiples. Dans le cas d’un tel résultat positif reconnu par le consensus scientifique, son auteur se verrait très probablement décerner un prix Nobel et acquérir une bonne part de notoriété.  

Image principale par Michel Bertolotti pour Pixabay

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