2023-05-24 Le congrès américain sous pression: L’interview de l’avocat Daniel Sheehan

L’avocat de renom Daniel Sheehan a décrit, lors d’une interview étonnante, les luttes de pouvoir qui se déroulent à Washington concernant l’étude des phénomènes aériens non identifiés (PAN).

Le 18 mai, l’avocat constitutionnaliste Daniel Sheehan a expliqué en détail les luttes et les pressions en cours au Congrès américain autour d’une législation obligeant l’exécutif, l’armée et la communauté du renseignement à se plier au contrôle du corps législatif concernant l’étude des PAN. L’interview a été menée par Chrissy Newton, fondatrice de VOCAB communications et podcaster pour The Debrief.

L’Avocat qui a fait plier le gouvernement américain

Depuis des décennies, l’avocat Daniel Sheehan est une épine dans le pied du gouvernement américain, plaidant contre sa culture du secret – soulignée comme un véritable problème ces dernières années par des personnes telles que son propre directeur du renseignement national, Avril Haines. Sheehan a bâti sa réputation en participant à de nombreuses affaires très médiatisées : les Pentagon Papers, l’effraction du Watergate, Black Panther 21, Wounded Knee, Three-Mile Island et Iran-contra


Dès 1977, il s’est impliqué dans l’étude des PAN, en facilitant l’étude du phénomène, puis en défendant le Dr. John. E Mack. Ce psychologue de Harvard avait été attaqué par le doyen Daniel C. Tosteson après que Mack eut publié une étude sur le phénomène des enlèvements.

Affiche de campagne présidentielle de Jimmy Carter (1976), domaine public

La Curiosité du Président

L’interview commence avec Daniel Sheehan qui explique comment il a commencé à travailler sur les PAN après que Marcia Smith, chef de la division Science et Technologie du service de recherche du Congrès, lui demanda de remplir une mission particulière confiée par le président Carter : déterminer s’il existait une relation entre les PAN et l’intelligence extraterrestre. Le président Carter s’intéressait en effet à ce sujet après avoir été témoin d’un disque volant lorsqu’il était gouverneur de l’État de Géorgie. Mme Smith lui demanda de contacter le Vatican par l’intermédiaire de l’Ordre des Jésuites à Washington DC pour avoir accès à leurs archives sur les PAN. La demande fut finalement été rejetée par le Vatican, mais cet épisode permit à Sheehan de briefer le responsable scientifique du Jet Propulsion Laboratory au sein du programme SETI, lors d’une réunion à huis clos de trois heures, sur les implications théologiques des contacts extraterrestres.

Plus loin dans l’interview, Sheehan détaille les nombreuses initiatives auxquelles il a participé concernant les études sur les PAN:

  • Le Disclosure Project (Projet Divulgation) de 2001 
  • Les auditions citoyennes de 2013
  • Conseiller juridique pour Lue Elizondo
  • Sécurisation des informations pour les séances d’information des commissions du renseignement du Sénat et de la Chambre des représentants
Daniel Sheehan lors des Auditions citoyennes (still picture, Under Fair Use for Information)

La loi

La conversation porte ensuite sur le différend qui entoure les différentes tentatives de la Chambre des représentants et du Sénat de créer un véritable bureau des PAN doté de l’autorité, des fonds et des moyens nécessaires pour accéder à n’importe quel élément d’information à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement des États-Unis :

« Le Sénat a adopté un projet de loi 4503 qui était très agressif et entrait dans les détails – et était très avant-gardiste, en fait – pour exiger que ce bureau […] s’appelle le Unidentified Aerospace and Undersea Phenomenon Joint Program Office (Bureau central du phénomène aérospatial et sous-marin non identifié) , mais c’était très compliqué […] ils ne sont pas parvenus à trouver un nom court pour ce bureau. Mais c’est dans ce projet de loi qu’ils ont demandé que 84 tâches différentes lui soient assignées. […] L’une d’entre elles consistait à prendre des mesures vigoureuses pour protéger les membres des services militaires, des agences de renseignement ou des entreprises privées qui souhaitaient communiquer ces informations. »

Il explique ensuite que le projet de loi contenait à l’origine une clause exigeant que tout lanceur d’alerte soit d’abord évalué par le FBI pour avoir le droit de partager des informations. Compte tenu de son expérience avec le Bureau, il a choisi de faire pression pour que cette partie soit supprimée. Sheehan explique ensuite l’une des parties les plus puissantes de ce projet de loi :

“Si quelqu’un essayait d’exercer des représailles contre une personne qui essayait de se faire connaître et de fournir des informations à la commission sénatoriale du renseignement, cela devait donner lieu à une action en justice que la victime d’une telle attaque pourrait intenter contre la personne qui l’a commise, quelle que soit sa position au sein du gouvernement”

Il insiste ensuite :

“Il s’agissait là d’un véritable coup de force dans un projet de loi de ce type, ceux d’entre nous qui étaient en contact avec le personnel et la commission sénatoriale du renseignement étaient extrêmement favorables à une telle disposition.”

M. Sheehan ajoute qu’en plus de défendre les lanceurs d’alerte, telle loi aurait exigé que les informations divulguées à la commission incluent « tout effort de réingénierie ou de rétro-ingénierie de toutes ces technologies ». Il précise que les sénateurs ont ensuite ajouté d’autres exigences à l’exécutif pour « ne pas leur laisser de marge de manœuvre ».

Projet de loi du Sénat 4503, domaine public

La contre-attaque

Mais en fin de compte, ce projet de loi sera contrecarré :

« Lorsque le dossier est passé du côté de la Chambre des représentants, une série de choses étranges ont commencé à se produire, […] les membres de la Chambre sensibles aux pressions exercées par le pouvoir exécutif ont commencé à s’opposer, et cela ne fait aucun doute, [ces pressions venaient aussi] des militaires, de la CIA et des autres personnes qui avaient gardé ces informations secrètes pendant 75 ans ».

Sheehan explique ensuite comment le passage d’ « Aérospatial » à « Anormal » dans le projet de loi a permis à l’enquête de s’étendre à tous les types de phénomènes de faible intérêt pour l’étude d’engins avancés. Selon lui, ce changement, ainsi que la durée de vie limitée à 4 ans du bureau d’étude des PAN, a indiqué à toutes les agences qui ne souhaitaient pas coopérer qu’elles n’avaient qu’à traîner les pieds pendant cette période, tout en alimentant le bureau avec des sornettes sur les fantômes et les phénomènes météorologiques.

Il décrit ensuite comment le projet de loi 4503 du Sénat a été démantelé et digéré dans le projet de loi 7776 de la Chambre des représentants, qui a finalement été intégré dans la loi d’autorisation de financement de la défense nationale. Il explique que c’est la raison pour laquelle il a créé une 501c3, une organisation citoyenne d’intérêt public basée sur ce que le projet de loi 4503 aurait dû être, et nommée New Paradigm Institute (Institut du nouveau paradigme).

Son objectif :

« Surveiller l’efficacité avec laquelle les commissions du renseignement de la Chambre des représentants et du Sénat et les commissions de la défense obligent le bureau à faire son travail, puis (…) voir avec quelle efficacité le nouveau bureau AARO oblige les services militaires à divulguer ces informations ».

Sheehan se montre lucide sur la difficulté de la tâche, en ajoutant :

« C’est bien sûr la communauté du renseignement qui allait résister le plus. Les services de renseignement rendraient top secrète la taille de vos chaussures s’ils pouvaient s’en tirer à bon compte. Ils sont obsédés par l’idée de tout rendre secret parce qu’ils ont l’habitude du secret. Pour Washington, l’information, c’est le pouvoir dans le monde,  et ils pensent donc que s’ils sont les seuls à détenir l’information, ils sont en position de force. Il s’agit d’un mal dont souffre notre communauté du renseignement depuis la création de l’État de sécurité nationale en 1947. Et, quelque part, c’est devenu un problème majeur de problème majeur de politique publique ».

Image de Martin Falbisoner, CC BY-SA 3.0

Le Plan de Sheehan

Pour atteindre son objectif, il a déclaré travailler avec Lue Elizondo, Christopher Mellon et d’autres personnes initialement impliquées dans le projet 4503 pour s’assurer que les informations étaient transmises au Sénat. Il a ensuite regretté que le projet de loi 7776 soit dépourvu de toute application de la limite de 72 heures imposée à l’AARO pour transmettre des informations au Congrès, insistant sur le fait que des dispositions d’applications devaient exister pour qu’un projet de loi puisse être appliqué dans son intégralité. L’un des autres problèmes pourrait être que le pouvoir exécutif décide de surclassifier le témoignage d’un lanceur d’alerte, empêchant ainsi l’information de parvenir au Congrès.

Il a également prévu de rencontrer « certains membres du personnel de la commission sénatoriale du renseignement, provenant des deux partis ». Marco Rubio et Mark Warner, tous deux penchés sur cette question, ont participé à la rédaction [du 4503] , afin d’élaborer un ensemble de lignes directrices qu’ils jugent efficaces.

L’objectif de Sheehan est de mettre en place « un registre soigneusement tenu de toute personne ayant contacté le bureau de l’AARO -heure et date- , ainsi qu’un enregistrement exact des informations qui leur ont été données ».

Il a ajouté qu’ils examinaient actuellement « la loi sur l’énergie atomique de 1954 parce que [le pouvoir exécutif] a l’habitude de l’invoquer et de dire « le système de propulsion de ces PAN [est] une forme d’énergie et nous allons donc le placer sous la loi sur l’énergie atomique ».  La commission de l’énergie atomique s’occupe des utilisations militaires du matériel d’armement nucléaire. Dès que l’on aborde ce sujet, tout le monde se dit « woo ! attendez une seconde ! cela doit être super secret ! Nous devons être extrêmement prudents à ce sujet ! »

En ce qui concerne les agences du gouvernement liées au pouvoir exécutif, « elles ont toujours considéré le Congrès comme un adversaire de leurs intérêts », et même si une nouvelle loi parvenait à être adoptée, « nous devons rester très vigilants, en particulier ceux d’entre nous qui sont convaincus qu’il s’agit d’une question extraordinairement importante ».

Futurs

« Nous sommes les quatre générations actuellement en vie qui vont élaborer les politiques qui régiront nos relations avec une éventuelle civilisation extraterrestre […] au cours des 10 000 prochaines années. C’est un moment extrêmement important pour notre famille humaine, [il faut] rester concentré sur cette question et ne pas permettre aux forces de l’État de sécurité nationale, dans les communautés du renseignement, de l’industrie de l’armement et autres, comme ils l’ont fait avec succès au cours des 75 dernières années. »

L’interview se termine par des remarques donnant à réfléchir. Sheehan évoque ainsi les lacunes de la loi de liberté d’accès à l’information (FOIA) pour les entreprises privées – pas moins de 22 exemptions ! En outre, ajoute-t-il, les groupes de pression « ont éliminé la menace de punir sérieusement quiconque cherche à se venger; (…) il n’y a pas de réparations en justice pour quiconque (…) ayant servi au sein du gouvernement [et] avec quelque expérience négative des PAN », même si les compagnies d’assurance ont accepté d’en proposer. » L’avocat souligne également que des personnes ont vu leur carrière ruinée par le simple fait d’avoir parlé publiquement des PAN.

Il note que, dans la législation actuelle :

“Il n’y a rien dans le projet de loi qui, par exemple, fournisse une immunité à quiconque se présente et admet qu’il a versé dans quelque activité criminelle pour dissimuler ces informations. Il y a […] une demande importante de la part de nombreuses personnes au sein de l’infrastructure de l’État de sécurité nationale pour bénéficier d’une sorte d’immunité s’ils veulent […] parler de ce qu’ils ont fait, de ce qu’ils savaient, et ils ne veulent pas se présenter s’ils n’ont pas accès à quelque immunité contre des poursuites idoines.”

Divulgation catastrophique

L’une des parties les plus intéressantes – et sans doute la plus sombre – de l’entretien se situe à la toute fin, lorsque Sheehan explique le concept de divulgation catastrophique, un thème récurrent dans les réunions auxquelles il a participé :

« Ces gens qui sont à l’intérieur [du système], qui en savent beaucoup sur ce qui a été découvert au sujet des PAN ou du phénomène OVNI, n’arrêtent pas de dire « nous devons être extrêmement prudents pour ne pas permettre une divulgation catastrophique » […] Ils me testaient juste pour voir ce que je pensais de cela, et je disais … je pensais que c’était odieux, mais il y a beaucoup d’activités odieuses que j’ai déjà exposées publiquement au sujet du gouvernement au cours des 50 dernières années, et le gouvernement ne s’est pas effondré ! Mais il est vrai que la confiance dans l’intégrité de notre gouvernement a considérablement diminué ».

« Je ne pense pas qu’il y ait de preuves qui soient complètement dévastatrices ou catastrophiques pour le fonctionnement continu de notre gouvernement. Ce qui va être révélé dans les informations qu’ils ont dissimulées, mais il est possible que je me trompe – ils peuvent me surprendre même après 50 ans – est qu’ils ont fait quelque chose de pire que ce que j’ai déjà découvert? »

Le ton sombre de Sheehan peut sembler surprenant vu les progrès de la divulgation d’information gouvernementale sur les PAN ces dernières années. 

Mais il ne faut pas oublier qu’une question demeure… Qui, à la Chambre des représentants, a accepté de céder aux pressions et de contribuer à noyer le projet de loi sénatoriale 4503 ?

Image principale : Robmodd, CC BY-SA 3.0, Under Fair Use for Information

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