Panique dans le ciel américain

Panique dans le ciel américain

Début février 2023, l’attention médiatique s’est dirigée vers la vidéo spectaculaire d’un ballon stratosphérique chinois abattu par un chasseur américain. Arrêtons-nous un instant sur une semaine au cours de laquelle quatre objets survolant l’espace aérien américain furent neutralisés. Trois d’entre eux restent officiellement non identifiés.

Ballon stratosphérique d'expérimentation. Source : Wikimedia Commons

Un rappel des faits

C’est au-dessus de l’Etat du Montana qu’a débuté le périple officiel d’un ballon d’une taille imposante (un diamètre de trois autobus). Nous étions alors le 1er février 2023. Après une semaine d’un voyage au long cours l’ayant fait voguer de l’Alaska jusqu’au large des côtes de Caroline du Sud en passant par des points sensibles comme la base nucléaire de Malmström, l’objet fut finalement neutralisé le 4 février par un missile AIM-9 Sidewinder tiré depuis un F-22 de la force aérienne. La vidéo de cet assaut final n’a d’ailleurs pas tardé à enflammer la toile.

Avion de chasse F22 Raptor de Lockheed Martin. Source: Wikimedia Commons

Cet événement a introduit une série de survols très médiatisés, le 10 février au large des côtes de l’Alaska, le 11 février au-dessus du territoire canadien du Yukon et le 12 février à la verticale du lac Huron dans le Michigan.

L’objet abattu au large de la côte Nord-Est de l’Alaska fut décrit par les rapports comme cylindrique et gris argenté sans être assimilé de manière catégorique à un ballon. L’engin tiré au-dessus du Yukon fut quant à lui décrit par les autorités canadiennes comme un « petit objet cylindrique » faisant penser pour certains à un ballon enveloppé d’une couche d’aspect métallique.

C’est donc le 12 février que s’acheva cette très surprenante série de survols. La cible fut également abattue par un missile AIM-9 Sidewinder à une altitude de 20 000 pieds. Des F-16 ayant décollé de Madison dans le Wisconsin furent cette fois-ci déployés pour la mission.

Missile Sidewinder Aim-9. Source : Wikimedia Commons

Un enregistrement de ce moment montre d’ailleurs que les pilotes semblaient tout à fait perplexes quant à la nature de l’objet. Leur description faisait état d’une forme apparemment octogonale accompagnée de cordes pendant sous la structure. Quant à l’altitude et la trajectoire, celles-ci semblaient présenter une menace pour le trafic aérien sans toutefois se montrer dangereuses pour la population au sol selon l’explication officielle du Pentagone.

La difficulté de décrire visuellement la structure résidait dans le fait que sa vitesse était très lente par rapport à un F-16. La vitesse de décrochage de l’aéronef militaire étant d’environ 230 km/h le pilote ne pouvait s’approcher de l’objet visé qu’à une vitesse comparable à deux fois la vitesse maximale autorisée sur une autoroute française.  

Ces événements amenèrent les instances officielles à organiser un briefing classifié à destination des représentants de la nation américaine et notamment auprès des élus les plus engagés sur le sujet. La réunion s’est tenue le 14 février auprès des membres du Congrès, soit deux jours après le dernier abattage. Pour ce faire le panel d’experts comptait dans ses rangs le Général Glen VanHerck, Responsable du Commandement de la Défense Aérospatiale de l’Amérique du Nord, Morgan Muir Haut Responsable du Renseignement, Melissa Dalton Secrétaire Adjointe à la Défense et Sean Kirkpatrick le Responsable de l’AARO.

Ces vœux de transparence auprès des élus et par extension auprès du peuple américain quant au phénomène PAN trouvent une partie de sa genèse d’une part dans les événements reliés à la sortie de l’article du New York Times en décembre 2017 et d’autre part dans la démission quelques semaines plus tôt de l’officier du contre-espionnage Lue Elizondo de son poste de responsable de l’AATIP (un programme de recherche relatifs aux Phénomènes Aériens non Identifiés nommé “Advanced Aerospace Threat Identification Program”). Ladite démission ayant été provoquée selon lui par un blocage de la chaîne de commandement et une certaine cécité de ses supérieurs au sujet de la sécurité aérienne. 

Les sujets de discorde résidaient d’une part dans le fait que des  engins inconnus faisaient irruption dans le ciel américain depuis des décennies, causant à de multiples reprises des « quasi-collisions » et d’autre part une stigmatisation pesante demeurait la seule issue pour quiconque souhaitait témoigner de ces observations.

Seal of the Office of the Director of National Intelligence
Sceau du bureau du directeur du renseignement national Source : Wikipedia Commons

Quel rôle l’AARO a-t-il joué dans cette affaire ?

Cette structure, affiliée à la fois au DOD (Ministère de la Défense) et à l’ODNI (Bureau du Directeur du Renseignement), fut créée en juillet 2022 pour étudier les observations d’engins non identifiés se déplaçant dans les airs, sous la mer ou dans l’espace (d’où la mention de « Tout Domaine » dans l’acronyme officiel).

À l’occasion de cette récente série d’événements, l’officine aurait dû être en première ligne médiatique comme opérationnelle. Or, c’est surtout son absence qui a été remarquée malgré le fait que son directeur fut présent au briefing classifié du 14 février.

Mieux encore, le porte-parole du Conseil National de Sécurité John Kirby, sous l’impulsion du président Biden, a annoncé la création d’un nouveau groupe de travail porté justement par le Conseil National de Sécurité en la personne de Jake Sullivan. Le sénateur républicain de la Floride Marco Rubio, lui aussi fervent défenseur d’une transparence accrue autour du phénomène PAN, s’est ému de cette décision qui semble illogique car redondante avec la mission principale de l’AARO. L'administration Biden veut-elle court-circuiter cette dernière ? La question reste ouverte.

Picture of Florida Senator Marco Rubio
Sénateur de l'état de Floride Marco Rubio. Source : Wikimedia Commons

Une situation viable ?

Faut-il, à chaque fois qu’un objet inhabituel entre dans l’espace aérien américain, dépêcher un avion d’une valeur estimée à 300 millions de dollars et lancer un missile de près de 400 000 dollars ?

En outre, les filtres des radars ayant été modifiés pour inclure de petits objets se déplaçant à faible vitesse, ce type de rencontre devrait être amené à se répéter.

Quel est la nature des trois derniers objets abattus ?

Les informations quant à la nature des trois objets ayant suivi l’identification, puis l’abattage du ballon chinois, sont arrivées au fur et à mesure des enquêtes journalistiques. Un article d’Aviation Week qui fait autorité dans le domaine aérien mentionne que l’objet inconnu ayant survolé le Yukon pourrait être un ballon « Pico » c’est-à-dire un petit ballon de 90 cm de diamètre comprenant une radio légère et un dispositif lui permettant d’atteindre une altitude de 50 000 pieds (environ 15 km).  La description des deux autres objets pourrait également faire penser à ce type de plateforme civile dont le coût varie entre 12 et 180 dollars pièce.

Toutefois le FBI comme l’OSD (Bureau du Ministre de la Défense) ont réfuté l’ hypothèse d’un ballon Pico malgré le fait qu’un groupe d’amateurs s’est manifesté au sujet du survol du Yukon. Les individus ont en effet affirmé avoir perdu un de leur ballon au moment de l’abattage dans cette zone. Toutefois aucun groupe de ce type n’a médiatisé une quelconque perte pour les deux autres objets, laissant ainsi le mystère planer. La décision des autorités de ne pas aller chercher les débris viendra également alimenter toutes les hypothèses jusqu’aux plus exogènes.

Mais un mystère dans les airs peut-il être synonyme d’un désordre au sol et surtout dans les couloirs feutrés du Pentagone et de la Maison Blanche ? Que la réponse soit positive ou non, l’interrogation quant à une volonté de clarifier le sujet auprès du grand public demeure sans réponse.

Écran de fumée ? L’indice d’une réelle menace imminente ?

À la suite de ces événements, le responsable du NORAD, le Général de l’US Air Force Glen VanHerck, répondant à la question d’une journaliste, n’excluait pas le fait que la piste Extra-Terrestre demeurait une des conjectures pouvant éclairer l'abattage des trois engins.

Photo of  Gen Glen D. VanHerck.
General Glen D. VanHerck. Source : Wikimedia Commons

Au-delà de cette déclaration extrême, quelles pourraient être les raisons de cette soudaine médiatisation et de cet entrain à vouloir détruire ce qui semble être des ballons plus ou moins évolués ? Comment expliquer cette improvisation subit ou simulée venant des prestigieux NORAD et NORTHCOM avec a fortiori en bout de chaîne une décision du Président Biden ?

Et si le gouvernement américain détenait des informations que le grand public n’a pas ? Dans le cas d’une menace imminente, qu’elle soit terrestre ou exogène, comme l’exemple du Carrousel de Washington en 1952 (événement qui avait déjà montré un certain affolement des autorités), ces apparents signes de fébrilité reflètent une crainte non feinte ou au contraire la connaissance d’une situation exceptionnelle qui échappe autant au public qu’aux élus demandant pourtant des comptes.

A la suite du briefing classifié, le Sénateur de la Louisiane John Neely Kennedy a d’ailleurs montré son incrédulité en adoptant face aux journalistes l’expression suivante : « si vous êtes confus, vous comprenez parfaitement la situation ».

Au-delà de ces événements, un phénomène plus global

Si ces récents événements sont le fait soit d’une puissance étrangère, soit d’amateurs, il n’en demeure pas moins que l’origine d’un autre phénomène, bien plus exogène, semble demeurer inconnue. La multitude de témoignages mentionnant des engins aux capacités absolument fascinantes comme lors des incidents du Nimitz en 2004, ou plus loin dans le temps lors de la bataille de Los Angeles en 1942, ou du survol de la base de Malmström en 1967, ne sont que le reflet d’une situation que le grand public ne comprend toujours pas.

Image principale: Photo par Pixabay